Le paysage, sens et méthode
Le paysage, une affaire de point de vue
Par ce regard dominateur et chargé d’émotion porté sur le paysage qui s’offre à ses pieds, Pétrarque ouvre à l’Occident la voie de la modernité en s’autorisant à juger, à porter un point de vue sur la création. À travers cet évènement fondateur du paysage (dont le terme ne sera inventé qu’un siècle plus tard par les peintres pour désigner un genre pictural nouveau), il confère à l’individu occidental un rôle central vis-à-vis de la nature et du monde dont il devient le maître.
Par ce regard dominateur et chargé d’émotion porté sur le paysage qui s’offre à ses pieds, Pétrarque ouvre à l’Occident la voie de la modernité en s’autorisant à juger, à porter un point de vue sur la création. À travers cet évènement fondateur du paysage (dont le terme ne sera inventé qu’un siècle plus tard par les peintres pour désigner un genre pictural nouveau), il confère à l’individu occidental un rôle central vis-à-vis de la nature et du monde dont il devient le maître. Le paysage est ainsi, par essence, affaire de point de vue, aux deux sens du terme :
- Une approche sensible des choses, et, plus particulièrement, à travers le sens de la vue.
- Un rapport au monde et à la nature que nous évaluons, apprécions, transformons à notre bon vouloir, dans un rapport dominateur (période moderne) ou dans une attitude plus modeste et plus respectueuse, période qui s’ouvre à nous depuis quelques décennies.Il revenait à cette terre de Vaucluse, qui a vu l’invention du paysage, de montrer la voie dans cette nouvelle attitude qui consiste à construire le paysage du présent par une démarche sensible et raisonnée, qui respecte le caractère singulier, hérité de l’histoire et de la géographie, des différents paysages vauclusiens.
Si l’utilité des atlas s’en trouve ainsi fondée, reste à en définir la méthode au regard de l’usage que l’on peut en faire. « Mais je ne veux pas dresser le cadastre de ces contrées, ni rédiger leurs annales : le plus souvent, ces entreprises les dénaturent, nous les rendent étrangères. Sous prétexte d’en fixer les contours, d’en embrasser la totalité, d’en saisir l’essence, on les prive du mouvement et de la vie, oubliant de faire une place à ce qui en elles se dérobe, nous les laissons toutes entières échapper » (Philippe Jaccottet, in : M. Steiner, Ph. Jaccottet, dans la lumière de Vaucluse, Ed G.Guerre, 1983). Nous voilà prévenus, la mise en « atlas » du paysage semble une incongruité et il est bon de reposer les attendus de la collectivité pour savoir comment concevoir cet outil et sur quelle définition du mot « paysage », profond et polysémique on s’appuie pour ce faire. Nous retenons la définition (reprise peu ou prou par les différents dictionnaires) du géographe languedocien Vidal de la Blache, pour qui le paysage est la « portion de territoire qui s’offre à la vue d’un observateur »(1) :
La notion de territoire fait référence à la géographie et à l’histoire. Cette approche géographique du territoire en analyse les fondements, ceux du socle géomorphologique, du climat, des réseaux hydrographiques, et la manière dont chaque société les a transformés et adaptés à son usage. C’est la partie que nous développons dans la partie “le roc, l’eau, le vent” et celle sur “la modernité des paysages”, et dans chaque fiche de présentation des unités de paysages : les blocs diagramme en sont la représentation synthétique.
La vue, c’est la perception sensible de ce territoire, les notions de “points de vues”, axes de vue, belvédères, “cônes de vue” en déclinent les rapports au paysage et montrent comment la perception sensible influe sur notre relation à l’espace.
- L’observateur, nous fait entrer dans la dimension culturelle du paysage, celle qui fait que nous avons ou non un rapport « paysager » au monde, celle des représentations sociales ou artistiques des lieux. L’évocation des sept paysages emblématiques du Vaucluse aborde cette dimension. Les résultats de l’enquête auprès de la population et des visiteurs en précisent l’actualité.
(1) La convention européenne du paysage du 20 octobre 2000 (ratifiée par la France, le 17 mars 2006), précise de son côté : “Paysage” désigne une partie de territoire telle que perçue par les populations dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelation.
De l’usage à la méthode : le paysage précède la méthode
Pour une structure publique (ici, le Département et l’État), un atlas n’est pas une fin en soi : la localisation et la caractérisation des différentes unités paysagères du département sont les supports qui permettent de concevoir une politique départementale de gestion des paysages. Dans ce sens, l’atlas doit permettre de faire en sorte que chaque action, chaque intervention, qu’elle soit forestière ou routière, qu’elle concerne l’élaboration d’un Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou la construction d’un bâtiment, soit adaptée à la singularité et à la logique du paysage sur lequel elle s’inscrit.
L’attitude qui a guidé la conception de cet atlas a consisté, dans un premier temps, à laisser la parole au paysage. Une approche sensible, perceptive, permet d’en saisir le sens et le caractère, combinaisons subtiles des données de la géographie, des empreintes de l’histoire et de l’identité des communautés qui le gèrent, le produisent et le transforment chaque jour, et de croiser ces données avec la sensibilité particulière du concepteur.
Cette approche sensible donne à saisir les multiples ambiances paysagères du département. Elle offre également au regard, des indications sur les grandes tendances d’évolution, les mutations en cours, la cohérence ou l’incohérence des actions de chacun, sur les erreurs ou le génie de l’un ou de l’autre.
Cette première approche est alors confrontée aux sciences et à la connaissance. L’histoire, la géographie, la géologie, les données chiffrées permettent de mieux comprendre, d’objectiver, de corriger le cas échéant, les données perçues sur le terrain.
La restitution de ce travail de repérage et de caractérisation des unités paysagères fait l’objet d’un développement exposant les traits principaux de chaque type de paysages, à travers leurs déterminants géographiques (la topographie, la géologie, l’hydrologie, etc.), les modes d’organisation du territoire (par l’agriculture, la forêt, l’urbanisation, le réseau de voies), les éléments de caractérisation particuliers, les grandes tendances d’évolution ainsi que les enjeux paysagers spécifiques.
La carte des paysages localise 16 unités paysagères. Elle pose trois questions méthodologiques :
Celle de la pertinence même de l’idée de mettre le paysage (perception sensible à trois dimensions) en carte (représentation en deux dimensions). Cette notion “d’unité paysagère” évoque la “partie de territoire” (géographie physique), c’est-à-dire les formes et les caractères physiques que prennent les modes d’organisation d’un territoire (son parcellaire, le type de structures paysagères, les formes d’organisation du bâti, etc.). Les perceptions sensibles (visuelles) et les représentations sociales et culturelles interviennent peu pour caractériser ces unités.
La question des « limites » d’un paysage. À partir de quand passe-t-on d’une “unité de paysage » à une autre “unité de paysage” ? En quoi ce paysage de transition ne serait-il pas lui-même un « paysage » ? Les limites sont parfois franches, offertes par la géographie ou par l’histoire ; le plus souvent, il s’agit de zones de transition, plus ou moins épaisses.
Celle enfin de la définition même des « unités » au regard de l’utilisation pratique de l’atlas. Pour illustrer cette particularité méthodologique, prenons l’exemple des deux unités paysagères “Vallée du Toulourenc” et “Arc comtadin“. Chacune d’elle intègre le flanc nord (pour la Vallée du Toulourenc) ou sud (pour l’Arc comtadin) du Ventoux dans leur délimitation. La montagne dans sa globalité (comme le Luberon pour les mêmes raisons) disparaît ainsi de la carte des unités paysagères. En effet, le massif est éclaté entre plusieurs paysages vécus auxquels il participe en tant que “versant” ou “horizon”. Nous assumons ce choix au regard de l’usage social que doit avoir l’atlas et ses prolongements.
De l’inventaire au projet de paysage
À chaque unité de paysage, une carte des enjeux localise et qualifie les grandes structures paysagères caractéristiques sur lesquelles il convient de prendre position dans les projets de territoires et les outils de planification (SCOT et PLU).
Cette carte situe également les grands axes de points de vue à enjeux à partir desquels le territoire et ses caractéristiques sont l’objet de perceptions visuelles remarquables, vers une silhouette urbaine, un grand panorama sur de lointains horizons ou un relief majeur.
Les secteurs de fortes et rapides mutations des paysages, sous l’effet de la croissance urbaine ou les phénomènes “d’entrées de villes”, sont repérés afin de mieux cibler les mises en projet d’une démarche paysagère permettant d’en assurer la qualité. Les repérages sur le terrain sont complétés par l’étude des cartes statistiques mettant en lumière les évolutions de l’occupation des sols, et le recueil d’informations auprès des acteurs stratégiques et dans les rapports d’étude disponibles.
À l’échelle urbaine, les dix villes les plus peuplées du département font l’objet d’un zoom qui facilitera, pour les collectivités concernées, la détermination de leurs priorités pour leur projet de paysage urbain.
Ces différentes cartes d’enjeux représentent ainsi les fondements d’une politique paysagère à construire.