Paysages de l’eau de Vaucluse
On observe un frappant contraste entre les paysages de ces immensités sèches des monts de Vaucluse et des causses des monts d’Albion et du plateau de Sault – couverts d’une végétation xérophile (la garrigue), où le recueil de la moindre goutte de pluie donne lieu à un déploiement d’énergie considérable pour aménager dans le roc les aiguiers par millier (à Saint-Saturnin-lès-Apt, à Gargas ou à Lioux) – et ceux de ces anciens paluds drainés du pays des Sorgues au milieu desquels, le bocage des haies aidant, on se permet d’évoquer des régions lointaines (la « petite Normandie » d’Entraigues-sur-la-Sorgue).
Tout semble les séparer, parce que leurs liens sont cachés et souterrains. Dans les grands massifs calcaires, l’eau s’infiltre au travers des formations karstiques liées à la dissolution de la roche sédimentaire. Dolines, avens, gouffres conduisent l’eau vers les réseaux souterrains qui alimentent les sources qui sourdent au pied de chacun de ces massifs, ordonnant l’implantation des villages, fermes et hameaux.
La résurgence de Fontaine-de-Vaucluse, au fond du Vallis Clausa auquel le département doit son nom, en est la manifestation la plus impressionnante par son ampleur et le caractère de son site. Les géographes en ont fait un nom générique en nommant par le terme de « source vauclusienne », ce type de résurgences rencontrées à travers le monde. La fontaine alimente le réseau des Sorgues d’une eau froide et régulière toute l’année, au contraire du débit des autres autres rivières du département (l’Eygue, l’Ouvèze, ou le Calavon) dont le lit semble démesurément large à l’étiage, image incompréhensible pour le visiteur qui ne connaît ce pays que l’été.
Cette eau froide du réseau des Sorgues a amené à ce que s’y développe un microclimat qui favorise une exotique végétation médio-européenne. On y rencontre par exemple le frêne excelsior quand la région ne connaît que l’angustifolia. Les maïres, filioles, canaux, roubines, et bras de Sorgues canalisés dessinent, au milieu d’un paysage intime, un complexe réseau anastomosé, équipé de seuils, de martelières, et de biefs que seuls quelques initiés savent faire fonctionner dans leur complexité d’ensemble.
L’énergie hydraulique a été très tôt exploitée, laissant aujourd’hui de superbes vestiges d’usines qui fonctionnaient encore au milieu du XXe siècle (telles Saint-Albergaty, Valobre, Promial ou Trèvouse), patrimoine intimidant aux potentialités inexploitées. La limite entre les paysages du sec et de l’humide est sans transition comme l’illustre la ligne de rupture de pente au pied des monts de Vaucluse. Les canaux – canal de Carpentras, canal Saint-Julien, canal Puy, canal de l’Hôpital – en ont, tout au long du millénaire, déplacé les frontières : à l’amont, un paysage antique : oliviers, vigne, fruitiers au sec, sur un parcellaire ancien.
À l’aval, un parcellaire redessiné par le tracé géométrique des filioles d’arrosage et les cultures irriguées. Les deux grands « fleuves », le Rhône puissant et autrefois redouté, aujourd’hui corseté par des aménagements prométhéens, et la Durance – fleuve quand elle rejoignait encore directement la mer par l’étang de Berre – qui recueille toutes les colères climatiques des Alpes et a toujours terrorisé les riverains (les villages s’en tiennent prudemment à l’écart), forment les deux grandes lignes (épaissies de leurs ripisylves quand elle n’a pas été sacrifiée au profit des corsets de terre) de ces paysages d’eau. Ils sont aussi les limites Sud et Ouest du département qui adosse ses autres frontières aux montagnes.
Si ce n’était par le couloir rhodanien qui le rattache aux grands axes de circulation, le Vaucluse se prendrait pour une Île. La rareté des ponts qui le relient aux régions voisines (il n’est pas innocent que le symbole de ce département en soit un pont rompu). Son histoire singulière, à travers la présence papale et son héritage (le Comtat Venaissin) en a longtemps fait une terre étrangère en royaume de France, confortant ce caractère insulaire. Mais l’histoire ici est-elle cause ou conséquence ?