La Durance, rivière nourricière

L’aménagement de la Durance nous renvoie loin en arrière, dans ce qui est peut-être la plus ancienne histoire industrielle de la Provence et du Vaucluse.

C’est une évidence : la Durance nous plait parce qu’elle vient directement des Alpes, quand le Rhône nous arrive… de Lyon.
Aussi puissant soit-il, le fleuve-Dieu n’a pas le goût de sauvagine de son affluent ; il a pris en route quelques relents chimiques. La Durance, non, si l’on ferme un peu les yeux.

Elle sait encore couler boueux et rouler des galets ; elle sait Cavaillon - photo de Michel Jouveencore nous rappeler “ses allures de chèvre, ardente à la course, farouche, vorace” (Frédéric Mistral). À moins, peut-être, que nous n’entretenions là quelque nostalgie puisque, comme le soupirait Giono : “Aujourd’hui, la Durance a été barrée à Serre-Ponçon et à d’autres endroits, canalisée de turbine en turbine. Il reste un fil d’eau qui suinte à peine les écoulements des égouts et des cours. Les épaves de seaux hygiéniques somnolent sur les graviers. Une végétation de ronces encombre le large lit de la Durance. C’est fini” (Provence perdue, 1967). Peut-être, faut-il au fond se rendre à l’évidence, la voir enfin comme un cours d’eau asservi et déplacé, voué à donner à d’autres et son liquide et son énergie ?

L’aménagement de la Durance nous renvoie loin en arrière, dans ce qui est peut-être la plus ancienne histoire industrielle de la Provence et du Vaucluse. Qu’on en juge : en 1175, creusement du canal Saint-Julien entre Cheval Blanc et Cavaillon, suivi en 1216 par celui de Châteaurenard. Entre 1544 et 1582, est réalisé le premier grand ouvrage hydraulique, le canal de Craponne, entre La Roque d’Anthéron (Silvacane) et Arles. Destiné à alimenter cette ville, il irrigue de nos jours quinze mille hectares de prairies dans la Crau. Au XIXe siècle, ce sont successivement les canaux de Marseille (1849), de Carpentras (1875) et du Verdon (1875) qui vont littéralement “transfigurer” les paysages urbains et ruraux de Provence.

Dans les villes et les villages, on élève alors temples et monuments pour célébrer les bienfaits de l’eau : l’hygiène, les parcs et jardins, les terres irriguées. Les derniers grands chambardements de l’ensemble Durance- Verdon (Serre-Ponçon, le grand canal EDF et ses quinze centrales, etc.) ne seront que le point d’orgue de cette longue aventure de l’eau et des paysages, souvent tumultueuse. Au bout du compte, pour une “Provence perdue”, combien de Provence gagnées ?

La symbolique durancienne, finalement, éclate dans toutes les villes ou villages où l’art urbain a su la représenter : l’art des jardins et des fontaines, la statuaire allégorique. Ici, par un mascaron cracheur d’eau, là par une déesse de la fécondité, ailleurs par une naïade aux formes généreuses. “La” Durance ne serait-elle pas, par vocation, une rivière nourricière ?…