Le Mont Ventoux, miroir des hommes

Comme la Sainte-Victoire dans les représentations du paysage d’Aix, le Mont Ventoux va occuper une place de plus en plus importante dans le paysage comtadin, pour devenir un motif en lui-même.

Mieux que son “géant”, le Ventoux serait L’OLYMPE de la Provence. Un refuge des Dieux : l’image est de Pétrarque. Il fut une de ces “sublimes horreurs”, ainsi que l’on qualifiait les montagnes lorsque l’on se mit à les REGARDER, avec un début d’attirance et encore beaucoup de répulsion. “N’est pas fou qui y monte, mais est fou qui y retourne” avertissait jadis un dicton du pays. Mont du vent, c’est certain ! Mais la toponymie nous renvoie, plus sûrement, à ce qui fut bien avant l’emblème d’une population, une marque limite, un repère pour les voyageurs qui, déjà, remontaient les vallées.
La racine “VIN”, qui signifie MONTAGNE, nous a laissé outre LE VENTOUX (Vinturi), sa sœur provençale VICTOIRE (Venturi) et de nombreux cousins éloignés, tel le puissant VETTORE italien des Apennins.
Des noms de lieux familiers comme Venasque, Venterol ou Ventabren renvoient aux REPÈRES ÉLÉMENTAIRES que sont, dans le paysage, le refuge, le rocher, la montagne.

J.J. Xavier BIDAULD, « Vue de l’aqueduc de Carpentras »Le Ventoux est également le terrain de prédilection des chercheurs et des savants. Les ascensions à caractère scientifique en ont fait, à partir du XVIIIe siècle, un “laboratoire naturel” de réputation internationale. Géographes et physiciens (pour en mesurer l’altitude), botanistes (Jussieu, Fabre) et géologues (Leenhardt, Martel) ont laissé nombre de témoignages. Parmi ceux-là, la prose de Fabre n’est pas la moins captivante : ”Une demi-journée de déplacement suivant la verticale fait passer sous les regards la succession des principaux types végétaux que l’on rencontre en un long voyage du sud au nord, suivant le même méridien”.

Fabre écrivain, Fabre entomologiste et botaniste, Fabre dessinateur patient et inspiré de planches naturalistes, nous entraine sur les pas de ceux pour qui le Ventoux va faire l’objet d’une représentation : les peintres, les écrivains. On n’en gardera qu’un ici, François Pétrarque, pour mieux mettre en exergue ce qui est devenu un texte fondateur (pour l’occident) dans le domaine du paysage, le récit de son ascension du 26 avril 1336 :
“ Arrivé au sommet, et “surpris par cet air étrangement léger et par ce spectacle grandiose, je suis resté comme frappé de stupeur. Je regarde derrière moi : les nuages sont sous mes pieds, et je commence à croire à la réalité de l’Athos et de l’Olympe en voyant de mes yeux, sur un mont moins fameux, tout ce que j’ai lu et entendu à son sujet ”…” à droite, très nettement, se découpaient les montagnes de la Lyonnaise, à gauche c’était la mer qui baigne Marseille et celle qui bat les remparts d’Aigues-Mortes, dont me séparaient quelques jours de marche ; le Rhône lui-même était sous nos yeux. Comme je prenais plaisir à détailler ce spectacle, tantôt songeant aux choses terrestres tantôt, comme je l’avais fait avec mon corps, élevant mon âme vers les sommets, je crus bon de jeter un regard sur les Confessions de Saint Augustin ”…” dès que je fixai mes yeux je lus : “Et les hommes vont admirer les cimes des monts, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, le circuit de l’Océan et le mouvement des astres, et ils s’oublient eux-mêmes. Je restai interdit, je le confesse ; et, après avoir prié mon frère qui voulait que je poursuive ma lecture de ne pas me déranger, je fermai le livre, furieux de l’admiration que j’éprouvais encore pour les choses terrestres quand j’aurais dû depuis longtemps, apprendre, des philosophes païens eux-mêmes, qu’il n’est rien d’admirable en dehors de l’âme, qu’il n’est rien de grand en regard de sa grandeur.“

Étonnante confession, annonciatrice “a contrario” d’un nouveau regard que l’homme de la renaissance allait poser sur les choses, sur la nature, sur les paysages dont le concept naissait ici, un siècle avant que les peintres flamand n’en n’inventent le mot (Landshaft) et quelques 700 ans avant que l’UNESCO ne le classe en terme de réserve de biosphère (1990).