Les Dentelles de Montmirail, laboratoire du paysage pittoresque

Dans le prolongement d’un Ventoux massif, les “Dentelles” sont un aimable travail d’orfèvre, un “petit massif fantasque, plein d’un enchevêtrement de montagnes enfiévrées” (P. Ollivier). Les mots se pressent pour le qualifier : curieux, tourmenté, ciselé…

J.J.B. LAURENS, “Les montagnes de Beaume(s) et Gigondas et la tour de Montmirail vues de la Cabre”C’est Jean-Joseph Bonaventure Laurens, peintre comtadin du XIXe siècle, qui le premier, va exprimer dans son œuvre tout le PITTORESQUE du petit massif et, partant, le révéler à ses contemporains. C’est important, la place des Dentelles et de Laurens dans l’histoire de la peinture de paysage, notamment le paysage provençal. Jusque là, c’est la masse d’un Ventoux tutélaire qui se silhouette en fond de tableau, chez Constantin, chez Girardon, silhouette familière et déjà emblématique d’un pays, comme l’était aussi Sainte-Victoire bien avant Cézanne.

Auparavant, le Ventoux domine sagement la campagne comtadine, cette “petite Arcadie de cultures, de jardins et de champs”, comme dans une peinture de Poussin. D’un coup, on va passer du paysage classique -la mise en ordre de la nature – au paysage romantique. Le peintre ne va plus chercher dans la nature un Ordre Universel, mais énonce ce qu’elle produit essentiellement sur son être. L’homme n’est plus le centre de l’univers, comme au siècle des lumières, mais l’élément d’une nature autant que possible « à grand spectacle », avec effets de lumière ou panoramas démesures.

Dans sa représentation des Dentelles, J. B. Laurens s’est rarement attaché à rendre la réalité, faisant de la montagne un monde pathétique, exacerbé, en face de quoi l’homme est comme ballotté par la tempête.

Moment dans l’histoire de l’art, le paysage des Dentelles en est un autre dans l’histoire des sites. Motif pictural et donc pittoresque, les Dentelles sont inscrites à l’inventaire des sites du département depuis les années soixante. La décennie suivante, l’obtention d’une AOC Gigondas va entraîner des défrichements intempestifs qui alertent les autorités : le site est mis en “instance de classement”, et le conflit qui s’ensuit, contre l’administration des sites est resté dans les mémoires. Finalement, un consensus sera trouvé au titre du code forestier : une “forêt de protection”, qui saura limiter les dégâts.

Mais finalement, c’est un viticulteur inspiré qui, du côté de Beaumes-de-Venise, va montrer à tous, protecteurs comme aménageurs, la meilleure manière de faire du paysage : par l’étude d’un projet. Il dessine et « peint » sans l’avoir jamais appris, ce que pourraient être ses rangées de muscat dans un site plutôt abrupt mais en respectant les lois du “ménagement”. Il connaît et réalise un véritable théâtre d’agriculture, un bel étagement de terrasses avec, çà et là, un arbre décoratif, un cyprès, un pin parasol, comme dans un jardin italien. Dans l’aire d’AOC Muscat de Beaumes-de-Venise, Claude Milhaud a façonné un paysage contemporain, distingué par le ministère de l’Environnement en 1992, qui lui a attribué un label de “Paysage de reconquête”.